Les gouvernements doivent se concentrer sur l’impact réel de l’IA, et non se laisser emporter par le battage médiatique généré par les grandes entreprises technologiques.

Les gouvernements doivent se concentrer sur l’impact réel de l’IA, et non se laisser emporter par le battage médiatique généré par les grandes entreprises technologiques.

Statistique Canada a récemment publié un rapport détaillé estimant quelles professions sont susceptibles d’être touchées par l’intelligence artificielle au cours des prochaines années.

L’article conclut par un message optimiste à l’intention des professionnels de l’éducation et de la santé, qui estiment que non seulement ils devraient conserver leur emploi, mais que leur productivité sera également améliorée par les progrès de l’IA. Cependant, les perspectives sont plus sombres pour les professionnels de la finance, de l’assurance, de l’information et de la culture, dont la carrière devrait être bouleversée par l’IA.

Les médecins et les enseignants devraient-ils désormais respirer tranquillement, tandis que les comptables et les écrivains paniquent ? Peut-être, mais pas à cause des données de ce rapport.

Ce que propose Statistique Canada est un exercice relativement dénué de sens. Il part du principe que c’est la technologie elle-même et la façon dont elle complète les efforts humains, et non les modèles d’affaires conçus pour miner notre humanité commune, qui sont le facteur déterminant. En commettant cette erreur, le rapport est une autre victime de l’optimisme des entreprises au détriment de réalités commerciales plus difficiles.

Forte exposition au battage médiatique autour de l'IA

Les entreprises qui proposent de nouvelles innovations ou de nouveaux produits qui jouent sur nos plus grands espoirs et nos plus grandes peurs n’ont rien de nouveau. La seule chose qui pourrait être nouvelle est l’ampleur des espoirs des grandes entreprises technologiques quant à l’impact de l’IA, qui semble toucher tous les secteurs.

Il n’est donc pas surprenant que les craintes concernant les industries et les secteurs qui seront remplacés par l’IA soient largement répandues. Il n’est pas surprenant non plus que Statistique Canada cherche à apaiser certaines de ces craintes.

L'étude regroupe les emplois en trois catégories :

  • ceux qui ont une forte exposition à l’IA et une faible complémentarité, ce qui signifie que les humains peuvent être en concurrence directe avec les machines pour ces rôles ;
  • ceux qui présentent une forte exposition à l’IA et une forte complémentarité, où l’automatisation pourrait améliorer la productivité des travailleurs qui restent essentiels au travail ;
  • et ceux avec une faible exposition à l'IA, où le remplacement ne semble pas encore être une menace.

Les auteurs du rapport affirment que leur approche – qui examine la relation entre l’exposition et la complémentarité – est supérieure aux méthodes plus anciennes qui examinaient les tâches manuelles et cognitives ou les tâches répétitives et non répétitives lors de l’analyse de l’impact de l’automatisation sur les lieux de travail.

Cependant, en se concentrant sur ces catégories, l’étude adhère encore au battage médiatique des entreprises. Ces catégories d’analyse ont été élaborées en 2021. Au cours des dernières années, de nouvelles perspectives se sont ouvertes, nous permettant d’avoir une vision plus claire de la manière dont les grandes entreprises technologiques se précipitent pour déployer l’IA. Les tactiques non éthiques récemment révélées rendent les catégories prédictives d’exposition et de complémentarité assez dénuées de sens.

L’IA est souvent pilotée par des personnes

Les évolutions récentes ont montré que même les emplois avec une forte exposition à l'IA et une faible complémentarité avec l'IA dépendent toujours de l'humain en coulisses pour effectuer des tâches essentielles. Prenez Cruise, le constructeur de voitures autonomes racheté par General Motors en 2016 pour plus d'un milliard de dollars. La conduite de taxi est un travail avec une forte exposition à l'IA et une faible complémentarité avec l'IA : nous partons du principe qu'un taxi est contrôlé soit par un conducteur humain, soit, s'il est sans conducteur, par l'IA.

Il s'avère que les taxis « autonomes » de Cruise en Californie n'étaient pas, en réalité, sans conducteur. Il y avait une intervention humaine à distance tous les quelques kilomètres.

Si nous devions analyser précisément ce travail, il y aurait trois catégories à considérer. La première concerne les conducteurs humains embarqués, la deuxième les conducteurs humains à distance et la troisième les véhicules autonomes pilotés par l’IA. La deuxième catégorie rend la complémentarité assez élevée ici. Mais le fait que Cruise, et probablement d’autres entreprises technologiques, aient essayé de garder cela secret soulève tout un nouveau monde de questions.

Une situation similaire s'est produite chez Presto Automation, une entreprise spécialisée dans la commande au volant basée sur l'IA pour des chaînes comme Checkers et Del Taco. L'entreprise se décrit comme l'un des plus grands « fournisseurs de technologies d'automatisation du travail » du secteur, mais il a été révélé qu'une grande partie de son « automatisation » est assurée par le travail humain basé aux Philippines.

L’éditeur de logiciels Zendesk présente un autre exemple. Autrefois, il facturait ses clients en fonction de la fréquence à laquelle le logiciel était utilisé pour tenter de résoudre les problèmes des clients. Désormais, Zendesk ne facture que lorsque son IA propriétaire accomplit une tâche sans intervention humaine.

Techniquement, ce scénario pourrait être décrit comme une exposition élevée et une forte complémentarité. Mais voulons-nous soutenir un modèle économique dans lequel le premier point de contact du client risque d'être frustrant et inutile ? Surtout en sachant que les entreprises prendront le risque de tenter ce modèle car elles ne seront pas facturées pour ces interactions inutiles ?

Examen minutieux des modèles économiques

Dans l’état actuel des choses, l’IA représente davantage un défi commercial que technologique. Les institutions gouvernementales comme Statistique Canada doivent veiller à ne pas amplifier le battage médiatique qui l’entoure. Les décisions politiques doivent être fondées sur une analyse critique de la façon dont les entreprises utilisent réellement l’IA, plutôt que sur des prévisions et des programmes d’entreprise exagérés.

Pour créer des politiques efficaces, il est essentiel que les décideurs se concentrent sur la manière dont l’IA est réellement intégrée dans les entreprises, plutôt que de se laisser emporter par des prévisions spéculatives qui pourraient ne jamais se matérialiser pleinement.

Le rôle de la technologie devrait être de soutenir le bien-être des personnes, et non pas simplement de réduire les coûts de main-d’œuvre pour les entreprises. Historiquement, chaque vague d’innovation technologique a suscité des inquiétudes quant aux suppressions d’emplois. Le fait que les innovations futures puissent remplacer le travail humain n’est pas nouveau ni à craindre ; au contraire, cela devrait nous inciter à réfléchir de manière critique à la manière dont elles sont utilisées et à ceux qui en bénéficieront.

Les décisions politiques doivent donc être fondées sur des données exactes et transparentes. Statistique Canada, en tant que fournisseur de données essentiel, a un rôle essentiel à jouer à cet égard. Il doit offrir une vision claire et impartiale de la situation, afin que les décideurs disposent des informations nécessaires pour prendre des décisions éclairées.